vendredi 25 janvier 2008

"Bleu blanc brun" de Frédéric Maillard - Editions Denoël

Romain ne paie pas de mine. Etudiant en droit par hasard, élève moyen, peu disert, particularité néant, il a jusqu’au moment où débute ce roman passé sa vie à être transparent et inaudible. Entre une mère concierge qu’il déteste, un père invisible et une vie rythmée par la frustration, ce solitaire assoupi ne demande qu’à révéler au grand jour sa conscience enfouie, celle de la haine latente envers l’Autre et l’Etranger, envers la Différence. Bleu, blanc, brun est cette chute là. Ce jeune adulte qui au début des années 2000 rôde dans les arcanes d’un groupuscule d’extrême droite pour s’y épanouir, s’y retrouver en vraie Personne écoutée, comprise, entourée et même aimée afin de s’affaler dans les poubelles des ratonnades, des comportements et insultes racistes, et même du crime.

Frédéric Maillard, qui s’est librement inspiré de Maxime Brunerie, auteur de la tentative d’attentat contre le président Jacques Chirac le 14 juillet 2002, nous conte l’envers du décor de la politique comme elle est pratiquée au jour le jour, dans les quartiers, les rues, les marchés, avec force de détails. Parce que l’auteur, publicitaire mais aussi spécialiste notamment de la communication politique, est plutôt bien informé, le lecteur déambulera ahuri dans les techniques, les stratégies alambiquées et les faces cachées de l’organisation de l’extrême droite française ; celle ayant aussi bien pignon sur rue que celle des dîners en ville entre gens de bonne compagnie dans les très beaux quartiers de Paris. Romain, son personnage, traverse ce tout petit monde là, motivé, acteur irréprochable d’une mouvance qui l’extraie de son mutisme pour le préparer insidieusement à l’irréparable : le sacrifice de lui-même.

L’auteur du livre brosse l’implacable portrait d’un jeune homme à l’effrayante logique géopolitique, où la normalité bataille contre l’abject, où les certitudes bâclées s’invitent à la table des pensées nauséabondes. D’abord soutenu et porté au nu par ses amis, Romain perdra tout, même son amour inespéré. Ne se débattant même plus dans cette dérive, la seule voix qu’il écoute n’est plus que Divine, le convainquant que son Destin est tout proche pour qu’il soit enfin quelqu’un. Un destin qui lui dicte qu’il lui faut tuer le président de la République. Pour 50 000 Livres Sterling.

(Prochainement sur cette antenne, Frédéric Maillard répondra à quelques questions que je lui ai posées... (si si !!)).

mardi 22 janvier 2008

Berg vs Haggis

Il n'y a pas que ma perception des choses qui compte. Alors j'ai demandé à Betty Poulpe d'être l'invitée permanente de ce blog. Désormais, elle y interviendra quand bon lui semblera. Et cela commence aujourd'hui. -DesMurmures-

A ma gauche le favori Dans la vallée d’Elah par Paul Haggis scénariste reconnu (Million Dollar Baby ou Mémoires de nos pères) et réalisateur (Collision), à ma droite, l’outsider Le Royaume de Peter Berg (qui ?). Deux films sortis en France presque en même temps (31 octobre et 7 novembre 2007), deux films sur les horreurs de l’ (in)humanité, mais surtout deux cinémas et deux visions du monde.Bref rappel des pitchs, pour planter le décor. Dans le film de Paul Haggis, un père (joué par Tommy Lee Jones) tente de retrouver son fils censé être rentré d’Irak. En partant à sa recherche, il se trouve confronté aux exactions commises par son rejeton et les soldats US basés dans le Golfe. Dans Le Royaume, une équipe du FBI part enquêter en Arabie Saoudite où une base civile américaine vient d’être rayée de la carte par un attentat destructeur.

La guerre d’un côté, le terrorisme de l’autre. Pourquoi dès lors faire le rapprochement entre ces deux films qui n’ont en commun que l’horreur et dont les sujets sont différents ? Parce que précisément chaque réalisateur a traité de façon très opposée les horreurs de ce monde et au final on retrouve toute la difficulté d’appréhender et de restituer une histoire si contemporaine qu’elle était aux actus d’avant hier.

Le Royaume, comme le souligne DesMurmures (ici), c’est une grande claque, le principe de réalité dans la gueule, sans concession mais sans exagération, une sobriété absolue de la première à la dernière minute et dans le jeu des acteurs et dans les actions (même les artificiers se sont retenus, c’est dire). Après, on a mal au ventre, la nausée, la trouille. En revanche avec le Paul Haggis, au final, mieux vaut évacuer la dimension politique et s’attacher à la quête du père, et à ces vies brisées par le conflit, le regarder comme un drame et non comme un film sur la guerre. En effet, autant Berg est pertinent dans sa démonstration et touche dans le mille, autant Haggis rate la cible à cause d’un angélisme mal venu. Qui peut croire que ce père (nous, spectateurs ?), ancien du Vietnam, tombe de haut en constatant que son fiston et ses camarades de chambrée torturent, humilient des prisonniers et tuent. Quoi ? La guerre en Irak n’est pas propre ? Mais les précédentes l’étaient-elles ? On se retrouve à essayer d’avaler la même pilule que celle servie par nos JT pendant le conflit en ex-Yougoslavie avec son concept de guerre propre à grands renforts de frappes chirurgicales qui épargnent les civiles. Et comme ce n’était pas vraiment au point, il a fallu inventer les dommages collatéraux pour rester clean. Non, ça ne passe pas.

Ces dernières années j’ai souvent été déçue par des films annoncés comme politique ou polémique, les Lord of war, Blood diamond par exemple et j’ai eu aussi de bonnes surprises avec Thank you for smoking ou Syriana. A chaque fois, j’ai fait le même constat. Dès lors que le scénario court deux lièvres à la fois, la démonstration perd de sa force et est noyée sous la fiction qui devait s’effacer à son profit, n’être que son support.

Voilà pourquoi, à mon avis, Peter Berg est vainqueur par KO.

PS : le film La Guerre selon Charlie Wilson réalisé par Mike Nichols fait partie des bonnes surprises. C'est drôle. C'est effrayant. Une clef de plus pour comprendre le rapport complexe des gouvernants (du peuple ? Peut-on généraliser ?) américains avec le reste de la planète et l'histoire de leur nation.