vendredi 29 février 2008

"Les liens du sang" réalisé par Jacques Maillot

... avec Guillaume Canet, François Cluzet, Clotilde Hesme, Marie Denardaud… scénaristes : Jacques Maillot, Eric Veniard et Pierre Chosson - Sortie France : 6 février 2008.

On ne pourra jamais dire que le réalisateur Jacques Maillot encombre les salles obscures de ses œuvres. Point de nouvelles fraîches de l’homme depuis l’excellent Nos vies heureuses (1998) suivant de quelques années un court et moyen métrage impeccables présentés ensemble en salles en 1995 : 75 centilitres de prières et Corps inflammables. Depuis, rien. Alors évidemment, ce retour inattendu sur le devant de la scène avec Les liens du sang, un film au casting appétissant, ne pouvait laisser très longtemps insensible.

Et force est de constater que l’on ne ressort pas déçu de ces 1h46 de film qui met en scène deux frères. L’un est flic (Guillaume Canet) : droit, honnête… L’autre (François Cluzet) a été bandit à ses heures et vient de sortir de 10 ans d’emprisonnement pour meurtre. Le choc du retour, les plaies psychologiques béantes, les comptes sont à régler entre les deux hommes qui ne font qu’aviver et attiser chacun les braises de l’incompréhension. Sur fond de fin des années 70 cradingues, à l’image remarquablement choyée par un directeur de la photo inspiré (Luc Pagès), une caméra mobile et près des corps assiste en première ligne aux combats larvés que se mènent les héros d’une tragédie en devenir… Quand l’un tente la rédemption par l’illégalité, l’autre tentera de le sauver en flirtant plus que de raison avec le feu. Une courbe de vie qui s’inverse et c’est en mode majeur que s’entremêlent doutes, amour fraternel, reconnaissance, ingratitude et… fric. Une lueur d’un hypothétique bonheur, au loin, puis plus rien. Comme une impasse.

lundi 25 février 2008

"No country for old men" : en texte, en images... Oscar, oblige...


Par DesMurmures

J’ai toujours préféré lire d’abord un roman et enchaîner ensuite par son adaptation cinématographique. Pas l’inverse. No country for old men (Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme) écrit par Cormac McCarthy et adapté au cinéma par les frères Coen n’a donc pas échappé à la règle. Mais différence majeure, c’est la première fois que je lisais McCarthy alors que j’ai vu tous les films des frères Coen. Alors, objectif or not objectif ? That is ze subjectivité…

Moss est un gars simple. Il chasse au fusil dans le désert du Texas, tombe sur les victimes d’un carnage et s’approprie indûment les deux millions de dollars d’une mallette restée là, appartenant à des trafiquants de drogue. A peine le temps de ramener tout ça chez lui et d’éventuellement penser profiter de ce pactole inespéré, qu’une volée d’intrus a décidé que cet argent ne serait pas à lui : un tueur azimuté, trimballant une bouteille d’oxygène en guise d’arme redoutable, prêt à toutes les horreurs pour le récupérer et un vieux sheriff (Tommy Lee Jones) qui n’a que la volonté de sauver Moss du rôle du renard d’une chasse à courre sordide dans laquelle il s’est enferré.

Les frères Coen ont l’habitude de la descente aux enfers (Blood Simple, Fargo) et ils malmènent le plus souvent leurs personnages avec maestria et pas mal d’humour noir. Ils ne pouvaient que se passionner pour les futurs ennuis de Moss. Ici, l’humour noir est au compte goutte et essentiellement centré sur le tueur psychopathe hallucinant (magistralement interprété par Javier Bardem) à la coupe de cheveux improbable, mélange de Beatles sur le retour et d’une Mireille Mathieu à l’encéphalogramme plat.

Et c’est un apport majeur des frères Coen en comparaison avec le livre… L’univers des cinéastes malgré tout présent, quoi qu’il en coûte, par rapport à un ouvrage qui se pose le plus souvent du côté du vieux flic en délicatesse avec ses souvenirs, et son présent d’homme dépassé par le brutalité guerrière d’une société en pleine mutation. Largué, il n’aura de cesse de faire (beaucoup trop) parler les pages du livre de McCarthy qui voit-là le moyen le plus adéquat pour son message de fin non pas du monde, mais d’un monde. Joel et Ethan Coen ont décidé pour leur part de ne pas trop porter ce fardeau, ils s’arrogent la simplicité, le cinglant et les langueurs avec une mise en scène à la fois fluide et nerveuse. Le mouvement puis le(s) silence(s) dans une tragédie où s’imbriquent l’injuste et la rédemption, le simili vertueux et la comédie de l’infâme. Trahir un livre pour l’adapter à un autre format ne m’a jamais véritablement traumatisé, je crois même que le malmener ne peut être que bénéfique… Et No country for old men en est un vivant exemple. Enfin, quand il reste des survivants…


Par Betty Poulpe

Faut avoir l'estomac bien accroché et les yeux grands ouverts face à No country for old men... Enième variation autour d'un bon, d'une brute et d'un truand, rien de neuf sous le soleil et la sierra torride du Texas ? Oooh que si. Le film, comme le livre éponyme dont il est tiré, n'est ni un polar ni un western ni un film de genre, c'est tout ça à la fois. En mieux. C'est l'expression précise du moment où le commun des (très) mortels sent que la société bascule. Non, a basculé, serait plus juste. Tommy Lee Jones incarne donc un vieux sheriff à qui vient la révélation et dont franchement il ne sait que faire. No country for old men est violent, par le sang qui gicle mais surtout par cette "nouvelle" (pas tant que ça finalement, semble dire le vieux Ellis aux 40 chats) forme de violence, froide, à l'image de Chigurgh (Javier Bardem, brillant) qui ne soucie pas plus de ses victimes que de ses cheveux. Tommy Lee Jones est empêtré dans ses souvenirs (noyé chez Mac Carthy) et n'arrive pas à faire face.

Et dans le livre et dans le film, il y a un rythme hypnotique tantôt lent tantôt d'une fulgurance incroyable mais sans heurts comme s'il était naturel de passer de l'un à l'autre. Si par son écriture, Mac Carthy nous livre toute l'aridité des paysages, elle est bien pâle face à la force de l'image des Coen, à leur cadrage si minutieux, à une photo extraordinaire. Et ces couleurs... Mais surtout, le film dépasse de loin le livre dont il est non pas simplement une adaptation très fidèle mais une sublimation. Rien de moins. Il m'aura fallu une bonne cinquantaine de pages pour entrer dans l'univers de Mac Carthy au style... unique avec ses phrases dont la ponctuation met au défi la compréhension, des dialogues où les locuteurs sont connus à peine avant qu'ils ne se quittent et des situations apparemment déstructurées qui reviennent successivement (les monologues de Bell par exemple). Ajoutez une intrigue qui passe au second plan, voire finie aux oubliettes, des lenteurs vraiment très ... lentes, lire le roman de Mac Carthy se mérite. Les frères ont gommé tout ça. C'est dommage ? A chacun de voir, pour moi, c'est tant mieux.


Le site (l’auteur) : http://www.cormacmccarthy.com/
Le site (le film) : http://www.nocountryforoldmen-themovie.com/